À la fois considérée comme une étape indissociable du processus de création photographique et comme un procédé tendant facilement vers la tromperie, la retouche d’image dispose d’un statut pour le moins ambivalent. À l’ère numérique, l’altération de la représentation du réel se confronte plus que jamais à l’éthique.
Lorsqu’elle est appliquée au domaine de la photographie, la retouche désigne l’ensemble des techniques et procédés destinés à la correction ou à la modification de clichés argentiques ou numériques. Une telle définition balaie un champ extrêmement large : de la simple correction d’exposition à l’application d’un filtre Instagram, du recadrage à la suppression totale d’un élément de l’image, toute intervention – automatique ou manuelle – opérée après la prise de vue constitue une retouche photo. Les réflexions sur la représentation du réel jalonnent bien entendu l’histoire de la photographie, mais depuis une vingtaine d’années, la démocratisation des outils numériques et la multiplication des images auxquelles nous sommes exposés poussent logiquement à se questionner sur le caractère éthique de la retouche photographique.
Conventionnellement datée en 1839 – année de présentation du daguerréotype à l’Académie des sciences –, l’invention de la photographie est suivie de peu par ce qui est considéré comme le tout premier trucage photographique. En 1846, après avoir capturé l’image d’un groupe de cinq moines capucins à Malte, le pionnier de la photographie Calvert Richard Jones décide en effet d’effacer l’un d’entre eux afin d’atteindre une composition qu’il juge plus efficace. Le trucage est alors réalisé à l’aide d’encre de Chine : lorsque l’encre est appliquée directement sur le négatif, sa couleur se confond presque avec celle du ciel en arrière-plan. Sur le tirage positif, le cinquième moine cède donc sa place à une banale portion de ciel blanc.
En 1846, Calvert Richard trouvait que l'un des personnages de son cliché gênait l'harmonie de la scène. Il décida donc de peindre par-dessus celui-ci afin de l'éliminer…
Aussi emblématiques soient-ils, les quelques exemples précédemment cités abordent pourtant uniquement la facette de la retouche photo communément désignée sous le terme de « photomontage ». Il est par conséquent utile de rappeler que l’altération de clichés de façon postérieure à leur capture ne se manifeste pas toujours de façon aussi outrancière. Inhérentes à la pratique de la photographie argentique, les actions chimiques que constituent le développement d’une pellicule et le tirage des photos impliquent en effet des choix esthétiques considérables. La première étape a ainsi une influence sur la luminosité, le contraste, les couleurs et le grain des images, tandis que la deuxième autorise notamment la modification de zones localisées. Il est de plus intéressant de constater que la plupart des outils proposés par les logiciels de retouche modernes s’inspirent grandement de ces techniques.
En numérique, l’étape du développement des fichiers RAW est ainsi apparentée au développement argentique. Privilégié par les photographes professionnels, le RAW désigne un ensemble de formats d’images qui contiennent toutes les informations enregistrées par le capteur de l’appareil photo, ce qui offre une grande marge de manœuvre lors de la retouche – de la discrète correction à l’altération la plus exagérée. Notons d’ailleurs que si le format RAW n’est pas choisi lors de la prise de vue, le traitement des données brutes collectées par le capteur est en réalité effectué par l’appareil photo de façon à délivrer des images jugées visuellement agréables et compatibles avec la plupart des logiciels de visionnage – ces fichiers adoptent souvent le commun format JPEG. Pour un photographe, faire le choix de ne pas retoucher ses photos revient donc à laisser un ensemble d’algorithmes définis par le constructeur de l’appareil les retoucher automatiquement.
En France, l’encadrement législatif à l’usage de la retouche photo est constitué d’un unique décret (n° 2017-738) en vigueur depuis le 1er octobre 2017. Celui-ci précise que la mention « photographie retouchée » doit accompagner « les photographies à usage commercial des mannequins en cas de traitement de l’image visant à affiner ou épaissir leur silhouette ». L’obligation d’apposer cette mention vise à « éviter la promotion d’idéaux de beauté inaccessibles », mais ne se rapporte cependant qu’à une infime partie des retouches morphologiques possibles. De plus, son affichage se montre la plupart du temps bien discret.Si les inquiétudes vis-à-vis des abus de la retouche photo favorisant le culte de la beauté et l’objectification des corps semblent monter bien tardivement, il existe néanmoins un courant de la photographie où le cadre déontologique ne laisse aucune place à l’altération de la réalité. À l’image de la polémique qui a touché le célèbre membre de l’agence Magnum Steve McCurry en 2016, les critiques pleuvent sur tout photojournaliste pris en flagrant délit de retouche photo. La photographie documentaire prônant une approche réaliste, ce cas de figure s’applique bien entendu aux trucages photographiques, mais aussi à la dramatisation des images par le biais de retouches de la luminosité, de la couleur ou du contraste.La difficulté à poser des limites à la retouche photo provient en réalité du fait que le caractère éthique d’une photographie dépend plus de la démarche de son auteur que du degré d’altération auquel elle a été soumise. Il est en sus utile de rappeler qu’en amont de toute retouche photo, de nombreux choix techniques et esthétiques ont déjà été effectués par le photographe lors de la prise de vue. Une photographie, aussi honnête soit-elle, ne constitue par conséquent qu’une représentation subjective et fragmentée de la réalité.